Déconfinement : la prérentrée des enseignants, nécessité pour « s’approprier une nouvelle école »
Déconfinement : la prérentrée des enseignants, nécessité pour « s’approprier une nouvelle école »
Les enseignants disposent d’une ou deux journées pour se retrouver, se former au protocole sanitaire et poser les jalons d’une école totalement inédite.
Ils passeront le portail de l’entrée, pénétreront dans le hall puis dans les classes. Lundi 11 mai, le décor que retrouveront quelque 130 000 enseignants (soit 34 % des professeurs des écoles) sera le même, à quelques détails près : des scotchs auront été posés au sol pour tracer les trajets à suivre, les murs et les portes javellisés, les coins jeux remisés. Cette journée de prérentrée – qui parfois se poursuivra le lendemain – ne ressemblera à aucune autre.
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« La prérentrée sera d’abord une organisation matérielle : comment maintenir la distanciation sociale ? Quelle classe va à la récré en premier ?, énumère Francette Popineau, secrétaire générale du syndicat majoritaire chez les professeurs des écoles, le Snuipp-FSU. Il faudra s’approprier cette nouvelle école, la comprendre, puis, avec les enfants, mettre des mots sur des choses qui ont été vécues. »
Sas de décompression
Pour s’y préparer, dans un premier temps à distance, le ministère de l’éducation nationale a publié le 4 mai une circulaire relative à l’accompagnement des élèves lors de la réouverture des écoles, ainsi que plusieurs fiches pratiques sur la sécurisation des enfants et le bilan des acquis scolaires. « Des documents qui ne manquent pas de sel, raille Francette Popineau. On nous y invite à beaucoup jouer et manipuler avec les élèves de maternelle alors que le protocole sanitaire nous l’interdit. »
Au côté des enseignants seront dépêchés les conseillers pédagogiques, qui assurent habituellement la formation continue. « Deux jours de prérentrée, cela va être très dense, prévoit Caroline, en poste dans une grosse académie et qui souhaite rester anonyme. Nous ne sommes que deux conseillers pédagogiques pour 32 écoles dans ma circonscription, il va donc falloir faire des choix pour aller dans telle ou telle école. » Objectif : venir d’abord en soutien des néodirecteurs, les plus en difficulté dans cette période complexe. « Avant de reprendre le chemin de la pédagogie, il nous faudra procéder à un état des lieux psychologique de l’équipe », affirme-t-elle.
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Prévoir un sas de décompression apparaît comme une priorité lors de cette prérentrée, alors que le respect strict du protocole sanitaire occupe amplement l’esprit des professeurs des écoles.
Peu mobilisé lors du confinement, le corps des psychologues de l’éducation nationale (psyEN) du premier degré espère être en première ligne. Créée en 1946, la profession, qui n’a eu de reconnaissance statutaire du ministère qu’en 2017, pâtit d’une image parfois peu flatteuse au sein même de l’administration. « Tout se passe une fois de plus comme si les compétences de psychologue étaient par magie consubstantielles des compétences des professionnels d’éducation », tacle un inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) dans une note interne intitulée « PsyEN et Covid-19 » que Le Monde s’est procurée. L’auteur poursuit en déplorant que seule demeure du métier de psychologue scolaire « une vision purement fonctionnaliste au titre de l’orientation [des élèves] dans le second degré ».
« Maraudes psy »
Après de multiples échanges au sommet, la circulaire dédiée à la réouverture des écoles publiée le 4 mai mentionne explicitement les psyEN. « Nous sommes heureux que notre administration s’aperçoive qu’elle dispose de 7 000 psychologues », commente Laurent Chazelas, président de l’Association française des psychologues de l’éducation nationale, qui s’attend à voir rentrer en classe « des enseignants épuisés après avoir beaucoup donné, dans l’ombre, durant le confinement ». « D’autres pourraient être très affectés, notamment dans l’est de la France où des enseignants sont morts du Covid-19 », rapporte-t-il. Dans sa circonscription, à Nice, Laurent Chazelas et ses deux collègues organiseront dès lundi 11 mai des « maraudes psy ». « Nous ferons le tour des écoles pour rencontrer les enseignants soit en groupe, soit de manière individuelle s’ils le souhaitent », explique-t-il.
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Pour Annie Catelas, porte-parole du SGEN-CFDT, il est indispensable d’instaurer un numéro d’urgence auquel les enseignants pourraient recourir dans les rectorats, par exemple en cas de suspicion d’infection au Covid-19 dans l’école. « Le ministre a pris note de cette demande mais nous n’avons eu aucune réponse concrète », indiquait-elle à quatre jours de la prérentrée.
Pourraient aussi surgir des tensions avec les collectivités locales, d’ordre matériel, par exemple sur le gel ou les poubelles en quantités insuffisantes, redoute Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-UNSA. « Dans les petites communes, il n’est pas toujours facile de faire entendre à un maire que tout cela n’est pas une lubie et la personne en charge des services ne s’est pas toujours plongée dans les détails du protocole sanitaire. »
Pour accompagner les enseignants lors de cette rentrée inédite, la « canothèque » du réseau Canopé s’est enrichie de nouvelles sessions de formations à distance. « La réouverture des écoles doit s’accompagner d’un programme de formation dédié », estime sa directrice, Marie-Caroline Missir. Synchrone ou asynchrone, sous forme de webinaire, en live ou en podcast, 140 sessions sont mises gratuitement en ligne autour de trois thématiques : accompagnement psychologique des professeurs et des élèves ; remédiation et différenciation pédagogique ; hybridation des cours entre présentiel et distanciel.