La Déperdition scolaire des élèves-filles au Tchad
Ce blog fait partie d'une série de blogs publié par des membres de la Communauté de Langue Française, vous pouvez retrouver la série ici.
Ce thème intitulé : « la déperdition scolaire des filles au Tchad » vise à étudier les raisons et les principaux facteurs de l’abandon de la scolarité par les élèves-filles. Cette étude s’est réalisée à partir du constat de l’abandon scolaire graduel par les jeunes filles au Tchad. En effet, si bien 70% de filles finissent le cycle Primaire, le nombre baisse à 30% pour le cycle Moyen, et diminue encore de moitié pour seulement 15% des jeunes filles qui finissent le Secondaire et seulement 5% de filles qui ont la possibilité de continuer des études supérieures. Cette réduction à l’échelle de niveaux suscite tant d’interrogations : quelles sont les causes de la déperdition scolaire des filles au Tchad ? Sont-elles renvoyées de l’école ? Pourquoi abandonnent-elles les cours ? À ce questionnement, nous adjoignons une autre pour remonter la courbe : quel mécanisme devons-nous mettre sur pied pour que les filles-élèves achèvent les cycles d’apprentissages ?
Premiers éléments d’analyses sur les facteurs incitant les jeunes filles à abandonner le cycle scolaire :
Facteurs sociaux
Il a d’abord été constaté dans un premier temps certains facteurs sociaux ayant un impact sur l’accès des filles à l’école comme le mariage précoce/forcé, les grossesses non désirées, l’influence des médias sociaux, le manque d’un programme adéquat pour l’éducation sexuelle aux filles. Il a aussi été constaté un certain nombre de discriminations sexistes à l’égard des filles : les garçons sont privilégiés en termes de scolarité par les parents qui estiment que payer la scolarité d’une fille c’est une perte d’argent vue qu’elle est appelée à être femme au foyer plu tard, et à cela s’ajout les multiples tâches ménagères souvent imposées aux jeunes filles. Les filles sont confrontées aux multiples tâches ménagères qui impactent négativement sur leur scolarité (toujours en retard à l’école et au pire des cas, abandon de l’école). La COVID-19 a également impacté économiquement, et physiquement un grand nombre de familles qui sont contraintes aux respects des mesures barrières notamment : le confinement, la fermeture des marchés, des lieux de travail, restriction des voyages etc. ; les filles sont contraintes d’aider la famille à faire de petits commerces, des travaux domestiques rémunérés pour ramener de quoi manger à la maison, s’occuper de la maison etc. Dans le pire des cas, elles sont envoyées en mariage forcé/précoce pour assurer la survie de la famille par le biais de la dot. La plupart des familles pauvres voient leur fille comme des fonds de commerce à exploiter. Il est également important de souligner qu’il existe encore des problèmes liés à l'inégalité des sexes, le statut inférieur des femmes et des filles par rapport aux hommes et aux garçons résultant des sociétés patriarcales dans nos sociétés qui sont également des facteurs à prendre en considération.
Facteurs culturels
Au niveau culturel, dans la société tchadienne, et avant tout dans le milieu rural, il existe encore des ignorances quant aux enjeux de l’école : ignorance de l’importance de la scolarisation des filles, l’obligation des filles d’exécuter des activités domestiques, l’indifférence à l’égard des filles. Il a également été reporté un problème d’exploitation et d'exposition élevée des jeunes filles à des agressions sexuelles à l’école (y compris par des enseignants) ; le regard de la société vis-à-vis de la fille dans certaines communautés, le harcèlement (causé par des élèves garçons ainsi des enseignants) en milieu scolaire, et aussi les troubles liées à la menstruation. La plupart des filles suspendent les cours pendant la période de menstruation par peur d’être « sujet » de moquerie en cas de débordements (tâches).
Facteurs économiques
Comme nous l’avons mentionné ci-dessus la précarité dans laquelle vivent certaines familles et/ou les faibles revenus des parents d’élèves et la mobilité des parents à la recherche des opportunités sont également des facteurs qui vont influencer le fait que les jeunes filles puissent accéder à l’éducation ou non.
Facteurs Institutionnels
Il existe également plusieurs problèmes au niveau institutionnel tels que la faible mise en œuvre des textes juridiques et des décisions judiciaires relatifs à la protection de l’enfance, l’insuffisance du cadre légal caractérisé par l’incompatibilité avec les instruments juridiques internationaux ratifiés, l’existence de vides juridiques et de dispositions discriminatoires à l’égard des filles dans certains textes. Il a aussi été constaté une insuffisance des ressources allouées à la promotion et à la protection des droits de la fille (manque de protection policière/force de l’ordre), une faible vulgarisation des instruments juridiques de promotion des droits de la fille. Cependant, il est important de signaler que des avancées ont été constatées ces dernières années par l’État tchadien avec des lois et cadre de prévention et de lutte de SGBV (PNG, Loi 29, articles 368 du CPT et art 4 de l’ord-n°006/PR/2015 du 15 avril 2015 portant interdiction du mariage d’enfants etc.). Il existe également une insuffisance des ressources de prise en charge des filles-mères afin de les aider à poursuivre leur étude, une faible harmonisation des interventions par les institutions chargées de la protection des filles (Forces de Défense et de Sécurité, magistrats, ONGs, services sociaux), l’impunité à l’égard des auteurs des discriminations et violence contre les filles, la guerre et les conflits armés.
De tout ce qui précèdent, quelles sont les solutions adéquates pour répondre à ce phénomène qui inhibe la réussite scolaire des filles ? Quelques pistes et recommandations, sous chaque paragraphe, vous trouverez des orientations vers des ressources utiles de l’INEE :
La nécessité de l’implication de tous les acteurs de l’éducation dans la gestion de la déperdition scolaire des filles à tous les niveaux.
Au niveau familial
Il est nécessaire de mettre en place des programmes pour sensibiliser sur cette situation et ainsi éviter les discriminations sexistes, pour accorder les mêmes droits et devoirs aux filles et aux garçons, pour impliquer les garçons à des travaux ménagers afin d’alléger les tâches qui incombent aux jeunes filles pour, qu’elles aussi puissent se consacrer à leurs études. Il faudrait pouvoir mettre en place des programmes d’éducation sexuelle afin d’accompagner les jeunes filles dans la gestion du cycle menstruel et pour que la société ne la considère plus comme une maladie, mais un élément qui peut contribuer à l’épanouissement de la fille en tant que future femme et mère (selon leurs projets de vie), pour discuter sans tabou sur des questions liées au sexe, les grossesses avec les enfants et en particulier les filles. Il serait également important de trouver un mécanisme éducatif pour transformer la société positivement et ne plus réduire le rôle des filles à celui de femmes aux foyers et de leurs inculquer la valeur de la réussite socioprofessionnelle pour les encourager à se consacrer à leurs études.
Guide de poche de l’INEE sur le genre, P.33 et le tableau P.36-37
Normes Minimales INEE, Domaine 2 Accès et environnement d’apprentissage, Norme 1 relative à l'Égalité d’accès, Note d’orientation 7, P.59 sur l’implication de la communauté.
Au niveau communautaire
La communauté doit veiller à la protection des filles et œuvrer en synergie d’action avec l’État et les ONGs dans la lutte contre la discrimination et toutes formes de violences à l’égard des filles, pour créer un environnement propice à l’épanouissement de la fille, contribuer et encourager la fille dans la poursuite de sa scolarisation et mettre un terme aux pratiques traditionnelles néfastes qui contribuent à la déscolarisation des filles. Parmi celles-ci nous soulignons : le mariage forcé/précoce, les mutilations génitales féminines, le bannissement, la stigmatisation de la fille ou son isolation sociale (chasteté et virginité très prisées dans certaines sociétés qui en font honneur de la famille), l’intimidation et la peur de se déplacer pour aller à l’école du fait des menaces contraintes à l’égard des filles, impliquer les filles dans les débats familiaux et créer des centres communautaires pour l’encadrement des filles et des garçons.
Normes Minimales INEE, Domaine 2 Accès et environnement d’apprentissage, Norme 1 relative à l'Égalité d’accès, Note d’orientation 7, P.59 sur l’implication de la communauté.
Normes Minimales INEE, Domaine 1 Normes fondamentales, Norme 1 relative à la participation communautaire: Participation P.22 à 27
Au niveau étatique
Il serait opportun que l’État promeuve les textes nationaux et internationaux sur la protection des filles, et de créer au sein des établissements scolaires des opportunités d’apprentissage sur l’égalité et l’équité du genre à travers des groupes de travail et des clubs au sein desquels les filles et garçons prennent des responsabilités pour un changement de comportement. Nous proposons aussi de faire la promotion des activités créatives et des exemples de réussite sociale féminine dans le domaine professionnel ou social au sein des établissements scolaires pour encourager les filles à se maintenir scolarisée et viser la réussite. Nous proposons également de mettre en application des tests légal, par exemple la disposition de l’article 369 CPT (Code Pénal Tchadien), pour sanctionner les parents qui refusent d’envoyer leurs filles à l’école ainsi que les établissements scolaires qui refusent d’intégrer et/ou qui exclus les filles pour cause de grossesse, ou qui refusent de les réintégrer dans le cycle scolaire après l’accouchement.
Guide de poche de l’INEE sur le genre, Stratégies pour une politique éducative tenant compte du genre, P.63.
Normes Minimales INEE, Domaine 3 Enseignement et apprentissage, Norme 1 relative aux programmes scolaires, Note d’orientation 5 Contenu et concepts clés de l’apprentissage des compétences de la vie courante P.79-80 et Note d’orientation 8 Diversité
Normes Minimales INEE, Domaine 2 Accès et environnement d’apprentissage, Norme 2 relative à la protection et bien-être, Note d’orientation 4 Violence liée au genre, P.63-64.
Appui des ONG
Il serait essentiel que les ONGs présentes au Tchad et travaillant sur ces aspects de l’éducation et des jeunes filles d’accentuer les sensibilisations de la communauté sur l’importance de l’éducation des filles, de faire du plaidoyer auprès du Gouvernement pour la création d’un cadre juridique adapté pour la protection des filles, pour l’application et la vulgarisation des textes nationaux et internationaux pour garantir le droit à l’éducation sans discrimination à l’égard des filles. Il serait également important de pouvoir appuyer en fourniture scolaire et prise en charge des frais médicaux des filles issues d’une famille vulnérable, d’initier des projets pour accompagner les filles-mères, comme par exemple l’installation de garderies pour enfants, de centre d’alphabétisation et d’apprentissage de petits métiers, de vulgariser la politique de la santé et hygiène menstruelle des filles.
Normes Minimales INEE, Domaine 1 Normes fondamentales, Norme 1 relative à la coordination, P.31-34
Co-auteurs :
Guetty Nodji Lylianne, a été clinicienne à la clinique juridique de l’Association Tchadienne pour la Promotion de Droit de l’Hommes (ATPDH) à Abéché. Elle a également été enseignante à l’école centre d’Abéché pour le projet pour la scolarisation et le maintien des filles à l’école avec GIZ-Education, et elle a été superviseure préscolaire avec JRS.-Field, ensuite assistante chargée des activités éducatives puis coordinatrice des activités éducatives avec RET-International. Actuellement, Assistante à la Protection Communautaire au UNHCR. Motivée pour la scolarisation des filles et leur maintien à l’école jusqu’au niveau universitaire, elle est toujours aux côtés des filles et les accompagne à l’accomplissement de leurs cursus académiques. Institutrice de formation, elle est nantie d’une Licence en droit privé.
Ousmane Kola Amane, a été enseignant de français au Lycée Hadjer-Lamiss de N’Djamena et Assistant-chargé de cours au Département de Lettres Modernes à l’Université Adam Barka d’Abéché au Tchad (vacataire). Sa très grande motivation de servir les personnes démunies l’a amené à être acteur humanitaire dans JRS-Tchad. Actuellement, Superviseur éducation post-secondaire aux camps de réfugiés soudanais dans l’Est du Tchad. Il est en thèse à l’Université de N’Gaoundéré au Cameroun.
Liens vers les ressources de l’INEE
Les références suggérées ne sont pas restrictives ni exhaustives, vous pouvez consulter ces ressources dans leur intégralité pour trouver d’autres orientations et stratégies et vous référez à leurs bibliographies et autres sources.